Saturday, 18 August 2012
UNE HEURE DU MATIN
Une vague tristesse m'envahit en regardant ces affaires de ma sœur entassées dans une pièce chez moi. Il s'agit d'une partie de fruits de plus de quinze années de labeur.
Ma sœur, son mari et leur petite fille ont dû quitter leur nid douillet, tant rêvé et auquel ils avaient un profond attachement. Ils ont beaucoup trop personnalisé leur demeure, et voilà le grand problème.
Un mois avant le quinzième anniversaire de leur mariage, noces de cristal, dans leur sommeil, vers une heure du matin, six bandits armés ont fait irruption dans leur maison, à la porte de leur chambre à coucher. Tout de suite, les malfrats ont tabassé le père de famille au sommet du crâne, avec un pied de biche qui lui a valu quatre points de suture. Deux coups et deux pertes de connaissance, des séquelles et la perte de son emploi. Les bandits les ont attachés et fouillaient la maison de fond en comble dans une ambiance de gros mots et faisant fi des cris, des pleurs, des supplications des victimes. S'ils avaient du cœur, ils ne seraient pas des voyous, voyons ! Ils ont pris tout ce qui leur plaît sous les regards impuissants et désemparés de la petite famille. Ils ont pris les téléphones, coupé l'alarme.
Ce n'est qu'après s'être assurée qu'ils sont bien partis que ma sœur a réussi à m'appeler d'un téléphone du voisin. J'ai accouru comme une folle, trois quarts d'heure de trajet. Ma sœur, tenant sa fille, toutes deux en pyjama, couvertes de sang m'a accueillie. Le mari, blessé, est déjà parti chercher les chiens pisteurs de la Gendarmerie.
Cette nuit-là, le couple a perdu un des symboles de leur union : les alliances !
J'ai assisté à presque toutes les scènes qui s'ensuivaient : les enquêtes, les différentes visites et je n'étais pas la seule à remarquer que des complices ne sont pas loin et les victimes ne s'en apercevaient pas, et avaient même tendance à les prévenir aux moindres problèmes ...
Le lendemain même, trois suspects ont été appréhendés. Naïve comme elle est, ma sœur a félicité le sérieux et la célérité de la Gendarmerie. Pointilleuse comme je suis, je me suis dit que la Gendarmerie a déjà des gens à envoyer en prison, comme ça les plaignants se taisent et ne les emmerderont plus !
Et la vie a continué son cours, apparemment ils ont "oublié" leur mésaventure. Tout le monde s'est quelque peu remis du choc terrible qui nous a tous frappés. Nous avons pensé qu'il n'y aura plus de seconde visite. Quatre mois plus tard, mon téléphone a sonné et m'a fait sursauter au beau milieu de la nuit. Machinalement, j'ai allumé la lampe pour voir l'heure : une heure quinze du matin. Je me suis levée d'un bond et ai rappelé puisqu'il s'agissait d'un bip. C'était encore ma sœur qui était au bout de la ligne, disant à la hâte "appelle notre voisin, appelle la gendarmerie, on est de nouveau attaqués, ils sont là dans la cour et ont tiré deux fois". Toute tremblante, j'ai failli ne pas trouver tous les numéros. J'ai d'abord informé l'autre sœur, puis notre mère pour qu'elle prie. J'ai fait le tour de toutes les équipes d'intervention rapide : Service antigang, Groupe d'intervention rapide, Force d'intervention spéciale (ce sont tous de la Police alors que la circonscription est du ressort de la Gendarmerie), puis, l'Etat-Major mixte de la région. J'ai été un peu choquée par la nonchalance manifeste de tous ces éléments, on dirait qu'ils ont l'habitude d'être appelés, que ce n'est pas grave, que ça arrive à tout le monde, que c'est moi qui suis malade...
Comme par magie, tout rentrait dans l'ordre en quinze minutes. J'avais l'impression que l'opération a été annulée puisque ... démasquée ! Premièrement, les occupants de la maison ont pu alerter quelqu'un d'autre que ceux qui s'y attendaient. Et pire, les boss auraient également intervenu, donc ...
On n'est pas si bête pour ne pas le comprendre. Je n'ai rien dit, juste j'ai compris quelque chose qui ne tourne pas rond.
Le Chef de Brigade de la circonscription était très vite arrivé sur les lieux, disait que le message avait du retard et qu'il était en ronde de routine, ... Il a tout de suite repéré les douilles et en les ayant examinés dans le noir, a reconnu qu'il s'agissait de balles de policiers, et patati et patata
Cette fois, personne n'est allé en prison, et même s'il y avait des suspects, est-ce que l'incarcération pourrait arranger les choses ? Qui est-ce qui peuplent ces maisons d'arrêt, n'est-ce pas un lieu de villégiature le plus sécurisé du pays ? Là, toutes les compétences sont réunies pour comploter en toute tranquillité. Là, c'est le lieu de travail privilégié de tous ces ONG épris de Droits de l'Homme. On se préoccupe des Droits des malfrats, des tueurs, des violeurs, des arnaqueurs, des escrocs, des putschistes, des ravisseurs en tous genres ...
Et qui s'occupe des simples citoyens qui vivent et survivent de la sueur de leur front, qui paient leurs impôts, qui sont tout le temps victimes de toute sorte d'injustice, et je dirais, qui sont beaucoup plus solvables ?
Ma sœur, elle a la chance de m'avoir jusque-là. Nous avons hébergé leurs deux petits chiens, témoins muets de tout ce qui s'était passé chez eux, ils ont mis leur maison en location, leurs affaires sont éparpillées partout, bref, ils ont brandi le drapeau blanc ...
Mampalahelo !
En ligne le 30/03/2012
16:00 Posted by Rondro H RAKOTOBE | Tags: akanin'i rado | Comments (0) | Facebook | | |